Entretien
publié dans Sofa n°5 (Avril 2000) :
Les
tueurs du lavomatic
Un
an après un prix d'Angoulême pour Vivons
heureux sans en avoir l'air, Dupuy & Berberian nous
rendent Monsieur Jean. Ils nous le rendent parce qu'il
commence vraiment à faire partie de nos amis,
un ami qui nous ferait des confidences, qui nous raconterait
ses rêves remplis de culpabilité judéo-chrétienne
et qui nous présenterait ses amis
Bon,
de vous deux, qui est Dupuy-Berberian et qui est l'autre
à côté de lui ?
Charles Berberian :(rires) C'est vrai qu'on nous prend
encore pour une seule personne, un peu précieuse
avec un nom composé.
Philippe Dupuy : C'est plutôt bon signe, ça
prouve qu'on intéresse davantage les gens par
ce qu'on raconte plutôt que par la manière,
pas bizarre, mais pas si répandue de travailler.
PD :Ce matin j'y pensais en allant au lavomatic avec
mon gros sac à linge sur le dos. Si j'étais
un comédien hyper connu, je ne pourrais pas faire
ça ! Là, c'est Dupuy-Berberian va au lavomatic,
on se fout de savoir lequel !
Ce
nouvel album, c'est la suite du tome 4 de Monsieur Jean
ou plutôt un hors-série ?
CB : C'est le numéro 3,5
PD : On s'autorise des souvenirs. On a travaillé
comme pour un Monsieur Jean normal.
CB : Mais la différence principale, c'est qu'on
partait dans une histoire sans en connaître le
nombre de pages.
PD : Avec les tueurs dans la première histoire,
on voulait dérouter le lecteur. Ils sont revenus
à la fin comme une sorte d'évidence. C'est
inconscient : on met des choses, sans trop savoir pourquoi
et puis on finit toujours par trouver une explication
CB : C'est assez agréable de se laisser mener
par le récit qu'on est en train de dérouler,
de pouvoir prendre des tangentes quand on veut. C'est
une approche de l'écriture assez excitante. Contrairement
à un album couleur, on pouvait développer
nos histoires sans se retrouver coincé à
cause du nombre de pages. C'est donc la suite logique
du tome 4 et de sa construction très rigide,
mais chronologiquement, il se situe entre le 3 et 4.
PD : Ca nous amuse beaucoup d'installer une chronologie
et de nous promener avec un anachronisme scandaleux
(rires). Le personnage vieillit, on raconte une évolution,
mais on peut suspendre le temps. C'est drôlement
bien de faire des grandes histoires et de les continuer
de livre en livre mais c'est bien aussi de pouvoir faire
des histoires courtes qui ne se rattachent à
rien.
Est-ce
qu'un jour on verra Monsieur Jean à 50 ans ?
PD : Est-ce que c'est facile de s'envisager soi-même
vingt ans plus tard ? C'est le même problème.
CB : L'idée qui me plait, c'est Monsieur Jean
vieux, avec nos mains en train de trembler
PD : Avec quatre pages pour se rendre du fauteuil à
la cuisine (rires)
CB : Il y a un côté triste à voir,
par exemple, Lucky Luke lutter pour rester jeune et
ferme alors que le dessin se
barre en couille.
Il y a un côté perruque ou teinture de
cheveux. Ce que je trouve plus sain, c'est le parcours
d'un peintre comme Matisse, qui, sans comparer, a adapté
sa manière de peindre d'une part à son
cheminement, à sa maturation et aussi à
ses moyens. A la fin, il avait de l'arthrose, il mettait
son pinceau au bout d'une baguette et dessinait des
formes très larges. Peut-être qu'à
la fin, on fera des pages de cinq mètres de haut
qu'on prendra en photo pour les imprimer
Propos
recueillis par Nicolas Urbain et Christophe Vinsonneau |