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La première édition est accompagnée de Monsieur Jean CD-Rom :
- home made (film / comédie musicale)
- papa connection (court-métrage sonore)
- les tenanciers (vidée / interview)
- esquisses et documents
- potok attack (jeu vidéo)
- musiques (deux titres)
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Entretien
:
publié dans LE TEMPS (Août 2001)
Les
noms de Dupuy et Berbérian sont liés à une œuvre d'une
justesse d'observation redoutable et d'une empathie
profonde, avec des personnages attachants. Sans oublier
une chronique autobiographique qui est un chef-d'œuvre.
Ariel Herbez, Samedi 4 août 2001
Avec Charles Berbérian, Philippe Dupuy forme le tandem
le plus symbiotique de la bande dessinée, puisque ces
deux Parisiens de 42 et 41 ans font tout ensemble, le
scénario et le dessin, sans qu'on puisse identifier
d'une page à l'autre qui a fait quoi. Avec Monsieur
Jean, écrivain un peu nonchalant et adolescent attardé,
ils dressent une chronique tout en nuances et pleine
d'humour de la vie qui va, alors qu'avec Henriette,
ils s'attaquent avec férocité à la méchanceté et à la
bêtise des adultes vues à travers les yeux d'une fillette
au physique ingrat, complexée et rejetée, mais éminemment
intelligente et imaginative. Dupuy et Berbérian ont
aussi cosigné, à L'Association, le superbe Journal
d'un album, qui les met en scène dans leur vie privée
et professionnelle. Un modèle du genre. Philippe Dupuy
nous explique les recettes de ce formidable duo.
Samedi Culturel: Ça y est, «Monsieur Jean»
a un bébé. Comment s'en sort-il ?
Philippe Dupuy : Avec cet album, on arrive un peu à
la fin d'un cycle. Nous avons voulu boucler cette période
d'adolescence attardée pour ouvrir une phase de maturité.
Les problèmes de Jean ne sont plus des histoires de
carte bancaire perdue, il se retrouve devant des questions
plus profondes: le choix d'avoir un enfant, de s'impliquer
avec quelqu'un. Il devient plus serein, même s'il a
des crises d'angoisse liées au fait d'être père, mais
ça c'est normal, tous les parents connaissent ça! Ce
que j'aime chez lui, c'est qu'il a une espèce de ligne
de vie. Pour moi, Jean est quelqu'un de très positif;
malgré tout, il ne subit pas les choses,
il affirme sa personnalité.
Pourtant, on ne peut pas dire qu'il maîtrise
vraiment les événements...
Pour les gens qui trouvent qu'une réussite sociale foudroyante
est un idéal de vie, qui jouent aux start-upers, alors
oui, Jean est définitivement un loser et il l'affirme.
Mais dans ce cas, j'en suis un aussi. Comme lui, ce
qu'on défend, c'est une espèce de goût de la vie, en
douceur: la réussite de la vie de Jean, et j'espère
de la mienne, est plus dans l'attention qu'on porte
aux amis, aux gens qu'on aime, à nos enfants, pour vivre
une vie équilibrée entre notre travail et nos passions.
Une sorte de dilettantisme, dans le bon sens du terme.
Là, vous êtes à contre-courant !
Oui, et c'est pour ça que les gens ne comprennent pas
toujours ce qu'on veut dire. Certains nous disent que
Jean est un écrivain velléitaire. Non, il écrit des
livres, vraiment. Et si ces derniers n'ont qu'un succès
d'estime, c'est déjà pas mal! Ils réagissent comme si
les chiffres de vente seuls comptaient... Et quand les
médias s'intéressent à Jean uniquement parce qu'un quiproquo
leur fait croire qu'il vit en couple homosexuel, il
a l'honnêteté de ne pas profiter du malentendu.
«Le Journal d'un album» était très autobiographique.
«Monsieur Jean» l'est-il aussi ?
Non, mais il naît de l'observation de ce qui se passe
autour de nous, il se nourrit de ce qu'on voit tous
les jours, de ce qu'on vit. Le personnage évolue avec
un décalage de quelques années par rapport à nous, donc
je suppose qu'il va continuer à profiter de notre expérience.
Nos enfants grandissent (j'ai un garçon de 11 ans et
une fille de 6 ans, Charles une fille de 9 ans) et nous
avons des choses à raconter là-dessus. J'ai l'impression
que nous sommes vraiment en phase avec notre personnage.
Le copain de Jean, Félix, est une calamité.
Comment le supporte-t-il ?
L'amitié est un thème important. Nous avons voulu montrer
pourquoi Jean continue à préserver cette relation avec
ce parasite assez farfelu, mais attachant. Nous avons
nuancé son personnage, il évolue en profondeur et démontre
qu'il a des qualités morales. Dans l'histoire de l'héritage
de ses grands-parents, qu'il refuse en apprenant qu'ils
ont fait fortune en «vendant» des juifs sous l'Occupation,
il fait preuve de droiture, contrairement à son frère
qui l'arnaque. C'est d'ailleurs une histoire vraie qu'un
ami nous a racontée: il était dans une situation financière
épouvantable, et il a refusé un héritage de ce genre.
J'aime bien aussi que Félix ne décide pas tout de suite,
qu'il hésite, se dise qu'on pourrait n'en garder qu'une
petite partie.
Avec «Henriette», pourquoi mener de front deux cycles
à tonalités différentes ?
Le premier, Le Journal d'Henriette, est bouclé, nous
avons simplement réédité ces trois albums qui avaient
paru dans Fluide glacial, d'où le ton beaucoup plus
caustique que la série actuelle, qui est prépubliée
dans Je bouquine, un magazine à lire dès 12 ans. Nous
avons nourri son environnement, avec tout ce que nos
propres enfants nous montrent: les copains et les copines,
les rapports parfois durs des enfants entre eux, et
plus seulement avec les adultes. En tout cas, Henriette
évolue et, en s'ouvrant un peu sur le monde, elle vit
une contradiction: elle trouve les copines vraiment
stupides, insupportables, mais en même temps, elle a
envie d'être copine avec elles. C'est de son âge, elle
est attirée par des trucs qu'elle trouve idiots, pour
s'intégrer. Un peu comme les surdoués qui font exprès
d'être mauvais pour se fondre dans la masse.
Vous travaillez ensemble, Berbérian et vous, à la
fois sur le scénario et le dessin. Comment faites-vous
?
Quand on attaque, on a chacun emmagasiné des envies
et des idées, des scènes aussi. On discute de tout ça,
des grands choix, puis on met tout sur la table, et
après c'est de la coécriture. Nous écrivons ensemble
un synopsis très détaillé, puis nous nous répartissons
les scènes. Chacun en écrit un certain nombre, en structurant
la «musique» de l'album, et nous nous les repassons,
l'autre pouvant les corriger. Ensuite, nous nous répartissons
les pages pour faire chacun une partie des esquisses,
puis nous nous les échangeons à deux reprises: celui
qui a fait les esquisses passe ses pages à l'autre qui
fait les crayonnés, puis les récupère pour l'encrage,
chacun étant libre de les modifier ou pas à chaque stade.
D'où l'unité de vos pages, dans un style fusionné ?
Oui, nous intervenons chacun à tous les niveaux. Dans
Le Journal d'un album, au contraire, je voulais qu'on
puisse vraiment sentir une différence entre les pages
de l'un et de l'autre: je m'étais imposé une autre technique,
et un autre format de page, ce qui amène une autre manière
de dessiner. Au début, nous partagions le même atelier,
mais nous avons préféré arrêter: nous avons chacun des
rythmes de vie, donc de travail, différents, et quand
la pression monte, on a tendance à se demander pourquoi
l'autre n'est pas là... Nous avons donc décidé de travailler
chacun chez soi, le principal étant que les choses avancent.
Cela fait bientôt vingt ans que nous travaillons ensemble,
et nous savons que, même s'il y a des moments plus difficiles
pour l'un et que l'autre doit prendre le relais, sur
l'ensemble l'équilibre est là.
Vous faites beaucoup d'autres choses. Quoi
donc ?
Enormément d'illustrations, pour la presse et pour des
livres. Nous écrivons régulièrement pour des projets
de télévision, qui n'aboutissent jamais. On vient nous
chercher parce que nous sommes atypiques, et quand ils
ont les choses en main, ils ne savent pas où les mettre
parce qu'ils trouvent que ça ne ressemble pas à ce qu'ils
connaissent déjà! Il y a eu un projet d'adaptation d'Henriette
qui est allé assez loin, mais la directrice des programmes
a dit d'accord, à condition de changer quelques petits
trucs: Henriette devrait être plus mignonne, arrêter
d'écrire un journal et avoir à la place un animal de
compagnie! Elle n'avait rien compris...
Et nous voyageons de plus en plus, en faisant des carnets
de voyage qu'édite Cornelius. Nous adorons ça: nous
avons fait New York et Barcelone,
Lisbonne est en préparation
et nous revenons de Tanger. C'est un très bon exercice,
ce dessin de voyage en direct, sans esquisse. C'est Loustal qui nous a influencés, avec sa manière de dessiner les
choses et les gens qui n'est pas du tout naturaliste
en fait.
Voir
aussi l'entretien de BDParadisio
Extraits :
Document :
Essai de couverture
Traductions
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"Meneer Johan, Het houdt
niet op"
éditions Oog & Blik - 2002
ISBN 90-5492-031-9
PAYS-BAS
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