COMME S'IL EN PLEUVAIT
(Monsieur Jean, tome 5)

1èr éd. : mai 2001, éditions LES HUMANOÏDES ASSOCIES.
54 pl. coul. (par Isabelle Busschaert)

 


La première édition est accompagnée de Monsieur Jean CD-Rom :

  • home made (film / comédie musicale)
  • papa connection (court-métrage sonore)
  • les tenanciers (vidée / interview)
  • esquisses et documents
  • potok attack (jeu vidéo)
  • musiques (deux titres)

Entretien :


publié dans LE TEMPS (Août 2001)

Les noms de Dupuy et Berbérian sont liés à une œuvre d'une justesse d'observation redoutable et d'une empathie profonde, avec des personnages attachants. Sans oublier une chronique autobiographique qui est un chef-d'œuvre.
Ariel Herbez, Samedi 4 août 2001


Avec Charles Berbérian, Philippe Dupuy forme le tandem le plus symbiotique de la bande dessinée, puisque ces deux Parisiens de 42 et 41 ans font tout ensemble, le scénario et le dessin, sans qu'on puisse identifier d'une page à l'autre qui a fait quoi. Avec Monsieur Jean, écrivain un peu nonchalant et adolescent attardé, ils dressent une chronique tout en nuances et pleine d'humour de la vie qui va, alors qu'avec Henriette, ils s'attaquent avec férocité à la méchanceté et à la bêtise des adultes vues à travers les yeux d'une fillette au physique ingrat, complexée et rejetée, mais éminemment intelligente et imaginative. Dupuy et Berbérian ont aussi cosigné, à L'Association, le superbe Journal d'un album, qui les met en scène dans leur vie privée et professionnelle. Un modèle du genre. Philippe Dupuy nous explique les recettes de ce formidable duo.


Samedi Culturel: Ça y est, «Monsieur Jean» a un bébé. Comment s'en sort-il ?
Philippe Dupuy : Avec cet album, on arrive un peu à la fin d'un cycle. Nous avons voulu boucler cette période d'adolescence attardée pour ouvrir une phase de maturité. Les problèmes de Jean ne sont plus des histoires de carte bancaire perdue, il se retrouve devant des questions plus profondes: le choix d'avoir un enfant, de s'impliquer avec quelqu'un. Il devient plus serein, même s'il a des crises d'angoisse liées au fait d'être père, mais ça c'est normal, tous les parents connaissent ça! Ce que j'aime chez lui, c'est qu'il a une espèce de ligne de vie. Pour moi, Jean est quelqu'un de très positif; malgré tout, il ne subit pas les choses, il affirme sa personnalité.

Pourtant, on ne peut pas dire qu'il maîtrise vraiment les événements...
Pour les gens qui trouvent qu'une réussite sociale foudroyante est un idéal de vie, qui jouent aux start-upers, alors oui, Jean est définitivement un loser et il l'affirme. Mais dans ce cas, j'en suis un aussi. Comme lui, ce qu'on défend, c'est une espèce de goût de la vie, en douceur: la réussite de la vie de Jean, et j'espère de la mienne, est plus dans l'attention qu'on porte aux amis, aux gens qu'on aime, à nos enfants, pour vivre une vie équilibrée entre notre travail et nos passions. Une sorte de dilettantisme, dans le bon sens du terme.

Là, vous êtes à contre-courant !
Oui, et c'est pour ça que les gens ne comprennent pas toujours ce qu'on veut dire. Certains nous disent que Jean est un écrivain velléitaire. Non, il écrit des livres, vraiment. Et si ces derniers n'ont qu'un succès d'estime, c'est déjà pas mal! Ils réagissent comme si les chiffres de vente seuls comptaient... Et quand les médias s'intéressent à Jean uniquement parce qu'un quiproquo leur fait croire qu'il vit en couple homosexuel, il a l'honnêteté de ne pas profiter du malentendu.

«Le Journal d'un album» était très autobiographique. «Monsieur Jean» l'est-il aussi ?

Non, mais il naît de l'observation de ce qui se passe autour de nous, il se nourrit de ce qu'on voit tous les jours, de ce qu'on vit. Le personnage évolue avec un décalage de quelques années par rapport à nous, donc je suppose qu'il va continuer à profiter de notre expérience. Nos enfants grandissent (j'ai un garçon de 11 ans et une fille de 6 ans, Charles une fille de 9 ans) et nous avons des choses à raconter là-dessus. J'ai l'impression que nous sommes vraiment en phase avec notre personnage.

Le copain de Jean, Félix, est une calamité. Comment le supporte-t-il ?
L'amitié est un thème important. Nous avons voulu montrer pourquoi Jean continue à préserver cette relation avec ce parasite assez farfelu, mais attachant. Nous avons nuancé son personnage, il évolue en profondeur et démontre qu'il a des qualités morales. Dans l'histoire de l'héritage de ses grands-parents, qu'il refuse en apprenant qu'ils ont fait fortune en «vendant» des juifs sous l'Occupation, il fait preuve de droiture, contrairement à son frère qui l'arnaque. C'est d'ailleurs une histoire vraie qu'un ami nous a racontée: il était dans une situation financière épouvantable, et il a refusé un héritage de ce genre. J'aime bien aussi que Félix ne décide pas tout de suite, qu'il hésite, se dise qu'on pourrait n'en garder qu'une petite partie.

Avec «Henriette», pourquoi mener de front deux cycles à tonalités différentes ?

Le premier, Le Journal d'Henriette, est bouclé, nous avons simplement réédité ces trois albums qui avaient paru dans Fluide glacial, d'où le ton beaucoup plus caustique que la série actuelle, qui est prépubliée dans Je bouquine, un magazine à lire dès 12 ans. Nous avons nourri son environnement, avec tout ce que nos propres enfants nous montrent: les copains et les copines, les rapports parfois durs des enfants entre eux, et plus seulement avec les adultes. En tout cas, Henriette évolue et, en s'ouvrant un peu sur le monde, elle vit une contradiction: elle trouve les copines vraiment stupides, insupportables, mais en même temps, elle a envie d'être copine avec elles. C'est de son âge, elle est attirée par des trucs qu'elle trouve idiots, pour s'intégrer. Un peu comme les surdoués qui font exprès d'être mauvais pour se fondre dans la masse.

Vous travaillez ensemble, Berbérian et vous, à la fois sur le scénario et le dessin. Comment faites-vous ?
Quand on attaque, on a chacun emmagasiné des envies et des idées, des scènes aussi. On discute de tout ça, des grands choix, puis on met tout sur la table, et après c'est de la coécriture. Nous écrivons ensemble un synopsis très détaillé, puis nous nous répartissons les scènes. Chacun en écrit un certain nombre, en structurant la «musique» de l'album, et nous nous les repassons, l'autre pouvant les corriger. Ensuite, nous nous répartissons les pages pour faire chacun une partie des esquisses, puis nous nous les échangeons à deux reprises: celui qui a fait les esquisses passe ses pages à l'autre qui fait les crayonnés, puis les récupère pour l'encrage, chacun étant libre de les modifier ou pas à chaque stade.

D'où l'unité de vos pages, dans un style fusionné ?

Oui, nous intervenons chacun à tous les niveaux. Dans Le Journal d'un album, au contraire, je voulais qu'on puisse vraiment sentir une différence entre les pages de l'un et de l'autre: je m'étais imposé une autre technique, et un autre format de page, ce qui amène une autre manière de dessiner. Au début, nous partagions le même atelier, mais nous avons préféré arrêter: nous avons chacun des rythmes de vie, donc de travail, différents, et quand la pression monte, on a tendance à se demander pourquoi l'autre n'est pas là... Nous avons donc décidé de travailler chacun chez soi, le principal étant que les choses avancent. Cela fait bientôt vingt ans que nous travaillons ensemble, et nous savons que, même s'il y a des moments plus difficiles pour l'un et que l'autre doit prendre le relais, sur l'ensemble l'équilibre est là.

Vous faites beaucoup d'autres choses. Quoi donc ?
Enormément d'illustrations, pour la presse et pour des livres. Nous écrivons régulièrement pour des projets de télévision, qui n'aboutissent jamais. On vient nous chercher parce que nous sommes atypiques, et quand ils ont les choses en main, ils ne savent pas où les mettre parce qu'ils trouvent que ça ne ressemble pas à ce qu'ils connaissent déjà! Il y a eu un projet d'adaptation d'Henriette qui est allé assez loin, mais la directrice des programmes a dit d'accord, à condition de changer quelques petits trucs: Henriette devrait être plus mignonne, arrêter d'écrire un journal et avoir à la place un animal de compagnie! Elle n'avait rien compris...
Et nous voyageons de plus en plus, en faisant des carnets de voyage qu'édite Cornelius. Nous adorons ça: nous avons fait New York et Barcelone, Lisbonne est en préparation et nous revenons de Tanger. C'est un très bon exercice, ce dessin de voyage en direct, sans esquisse. C'est Loustal qui nous a influencés, avec sa manière de dessiner les choses et les gens qui n'est pas du tout naturaliste en fait.

 


Voir aussi l'entretien de BDParadisio


Extraits :


Document :

Essai de couverture


Traductions :
 


"Meneer Johan, Het houdt niet op"
éditions Oog & Blik - 2002
ISBN 90-5492-031-9
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