POLEMICKER
: Philippe DUPUY, Charles BERBERIAN deux noms pour une collaboration.
Comment votre duo s'est il formé ?
Charles BERBERIAN : Nous
naviguions tous les deux dans le milieu des fanzines, alors
on a fini par se rencontrer un jour. Philippe cherchait un scénario.
Je lui en ai proposé un.
Philippe DUPUY :
Comme je savais qu'il dessinait aussi, je lui ai proposé de
dessiner avec moi. Là, on a découvert que ce que nous faisions
à deux nous plaisait beaucoup plus que ce que nous dessinions
chacun de notre côté.
Vous êtes issus
d'une génération d'auteurs qui a beaucoup travaillé pour des
fanzines justement. Dans votre cas PLG. Quelle est l'importance
de ces supports pour vous ?
DUPUY-BERBERIAN :
Personne ne voulait de nous à l'époque. PLG nous a permis d'avoir
notre premier travail en commun publié et ce fut extrêmement
stimulant. La confiance venant, on a appris à structurer une
histoire, à avoir un rythme de travail plus soutenu...
Avez-vous l'impression
d'appartenir à une école, un style issu des fanzines
? PLG par exemple ?
D - B :
Nous ne pensons pas qu'il existe un esprit PLG, du moins au
niveau des auteurs qui y sont publiés. Si esprit il y a, il
se situerait plus au niveau du rédactionnel, du choix des auteurs
interviewés et des albums critiqués. Cela dit, nous avons le
sentiment d'appartenir à une "école" comme vous dites
(nous préférons le terme de "bande") mais qui n'a
rien à voir avec PLG même si certains des membres de cette bande
ont vu leurs dessins publiés dans cette revue.
Au-delà
du concept graphique, il existe des liens entre vous. On retrouve
régulièrement des bandes de copains dans vos histoires.
D - B : Vous savez,
les petites histoires qui arrivent à ce pauvre Monsieur Jean,
nous les puisons dans notre vie de tous les jours. On mélange
tout et on en tire ce que vous lisez. Alors c'est normal de
les retrouver dans nos pages puisqu'ils sont un peu à l'origine
de ce que nous racontons.
Il y
a un esprit très "parisien" dans cet album !
D - B : On habite
tous à Paris ! C'est vrai qu'il y a ce côté péjoratif à
"parisien" que nous comprenons tout à fait, ce côté
"mec qui la ramène tout le temps". Mais Monsieur Jean
est à l'opposé de cet esprit-là. Il est discret et timide, il
cultive un esprit de clan, de tribu, qui est plus proche du
rythme de vie d'un village que d'une capitale. En dehors de
cet aspect négatif et réducteur, Paris est une ville où l'on
trouve encore certains coins chargés d'un passé, d'une histoire
que nous aimons dessiner : le canal St Martin, Montmartre, les
grands boulevards, les petits bistrots. Mais ce que nous aimons
par dessus tout, c'est dessiner le quotidien, et ça, ça n'appartient
pas plus à Paris qu'à n'importe quelle autre grande ville. Bref,
Monsieur Jean n'est pas parisien, c'est un citadin et s'il évolue
à Paris, c'est que c'est plus pratique pour nous à dessiner
étant donné qu'on a tout sous les yeux.
Pour rester dans l'univers
des fanzines, comment en êtes-vous venus à travailler avec "l'Association"
?
D - B : "l'Association"
est un groupe de personnalités aussi excitant qu'a pu l'être,
à une époque, le groupe Dada ou les Surréalistes. Il y a dans
cette bande de fous furieux une jubilation dans la création,
un plaisir, extrêmement rare de nos jours. Pour ceux qui ne
connaissent pas, jetez-vous sur Lapin " La revue de "l'Association"
et sur le livre de David B. Le Cheval Blême. Evidemment, dans
ces conditions, travailler avec eux est une nécessité, un cas
de force majeure. D'autre part, MENU (le catalyseur de "l'Association")
nous a proposé de compiler en un album les histoires publiées
dans Fluide en marge du "Journal d'Henriette". On
ne refuse pas une offre pareille...
Comment
vous répartissez-vous les tâches lorsque vous réalisez une histoire
?
D - B : Au départ,
il y a une idée, soit de l'un, soit de l'autre. On discute,
l'histoire prend forme. Généralement, on essaie de laisser mijoter
un certain temps de manière à pouvoir nourrir la trame de l'histoire
de petites anecdotes, de l'enrichir en la faisant évoluer. Ensuite
l'un de nous deux écrit (celui qui est à l'origine de l'idée,
quoique pas forcément). L'autre fera le découpage (mise en page
brute, comme un story-board). Pour la mise au propre, nous nous
répartissons les pages soit le crayonné et l'encrage. Comme
il y a superposition des couches d'interventions de la part
de l'un ou de l'autre, on peut dire que le résultat nous appartient
de manière inextricable.
Lors de votre première collaboration,
Charles (BERBERIAN) était plutôt le scénariste !
D - B : Disons
qu'au début, nous avions chacun notre rôle et puis tout s'est
mélangé, on s'est complété et c'est cela aussi qui nous a rapproché.
Peut-on concevoir DUPUY sans
BERBERIAN ou l'inverse ?
Ch B. : Bien sûr
la force de notre collaboration vient du fait que chacun essaie
de garder sa personnalité. Cela dit, il y a de plus en plus
de choses qui nous sont communes aujourd'hui et cela peut créer
des difficultés. Au début, on arrivait à avoir du recul par
rapport à notre travail. Chacun vivait sa vie. La critique était
beaucoup plus pertinente et efficace. Maintenant, on se connaît
tellement que l'on a plus de mal à être critique. Aujourd'hui,
quand on a une idée d'histoire, on la laisse reposer. De cette
façon, on prend le recul nécessaire, et avec le temps on redécouvre
les choses avec un autre regard et un esprit plus critique.
Peut-on
comparer votre démarche à celle de YANN et CONRAD ?
Ch
B. : Cela n'a rien à voir. On a beaucoup de respect et d'admiration
pour ce qu'ils ont fait ensemble, mais leur collaboration n'était
pas Si complexe que cela.
Et
puis l'esprit de nos bandes n'a rien à voir. On est unique (rire).
En BD il y a eu pas mal de collaborations effectives,
mais extrêmement hiérarchisées. FRANQUIN et JIDEHEM ou HERGE
et DE MOOR travaillaient certainement comme nous, et pourtant
un seul nom apparaissait sur la couverture. Je suis étonné quune
collaboration comme la nôtre ne se retrouve pas plus souvent
car cela rend les choses moins laborieuses. Je ne connais pas
un seul auteur qui ne soit pas découragé, à certains moments,
par la longueur de réalisation d'un album. Il arrive que l'on
perde même le plaisir de dessiner, de créer. Le fait d'être
un duo à quatre mains nous permet de ne pas rester trop longtemps
sur un album. On garde ainsi l'énergie et la fraîcheur de création
tout le long du travail.
Ph D. : Cette fraîcheur nous permet de ne pas bloquer sur quelque
chose. Quand il y en a un qui cale, l'autre peut trouver la
solution. De plus, comme on a beaucoup de copains qui travaillent
dans la BD, on voit pas mal de choses, et c'est bon de se resituer
par rapport au travail des autres.
Côté
technique, avec quoi travaillez-vous ?
Ch
B. : Est-ce bien raisonnable de parler de ces choses-là
? C'est la question type, celle que l'on nous pose à tous les
coups. Je la comprends tout à fait car moi-même, à l'époque
où je débutais, je la posais tout le temps. C'est vrai que le
choix d'un papier, d'une plume ou d'un pinceau est extrêmement
déterminant pour le dessin et la qualité d'exécution. Nous,
nous changeons assez souvent de papier et de matériel pour que
notre dessin évolue, que l'on n'acquiert pas de tic. En ce moment,
nous dessinons en apesanteur. On encre avec une enclume, et
le PQ nous sert de support papier. Sérieusement, je vais laisser
à Philippe le soin de vous expliquer tout cela.
Ph
D. : En illustration, on utilise tout ce qui nous tombe
sous la main comme papier. Ce peut être du carton ou autre chose.
Actuellement, c'est sur du papier aquarelle.
Tout
ce travail d'illustration, c'est important pour vous ?
D
- B : Autant que la BD ! C'est un domaine qui nous permet
d'évoluer graphiquement aussi vite que dans la BD. Un auteur
qui réalise une BD doit respecter le même style tout le long
de l'histoire. Ce qui compte, c'est de raconter une histoire.
En illustration, on peut changer son style beaucoup plus facilement
ou sa technique, surtout Si c'est dans des domaines différents.
C'est cela aussi qui nous permet de ne pas étouffer dans la
BD.
Avant
de parler de vos albums, je voudrais revenir sur un article
paru dans "les Cahiers de la BD" N° 86,
sur "F. 52", l'album de CHALAND. Cet article
était très dur envers lui. Il paraît que vous avez réagi très
vivement.
Ch
B. : Je crois que l'article paru dans "les Cahiers"
est un article artificiel car, quand on a porté quelqu'un au
pinacle, ce qui a été le cas des belges, il y a toujours des
gens qui s'amusent à ,vouloir détruire cette admiration. Cet
article en est un exemple et j'en ai été outré. La critique
était trop violente ! De plus, quand on joue le rôle de critique,
on n'a pas à régler ses comptes. De toute façon, aujourd'hui
ces critiques des "Cahiers" n'ont plus grande importance,
ce magazine ayant disparu. Par rapport à CHALAND, il y a plein
de choses à dire. J'apprécie son travail et je pense que cela
se sent. "Le Jeune Albert", c'est quand même une des
plus grandes choses que la BD des années 80 ait produite. Rien
que pour ça, CHALAND est un auteur qui compte.
Mais,
même si CHALAND est important, on a le droit de le critiquer.
Ch
B. : Oui, mais pas comme ça le critique s'est amusé à polémiquer
d'une manière complètement artificielle. J'aime bien les critiques
violentes qu'écrivait Truffaut dans "les Cahiers du Cinéma",
par exemple, parce que là on sentait que le type détruisait
pour construire. En ce qui concerne l'article sur CHALAND, j'ai
plus l'impression d'un règlement de comptes. L'auteur de cet
article cherchait à blesser, à vexer.
Pour
parler un peu des albums, je voudrais commencer par "Henriette".
Elle tombe toujours à côté, elle n'a rien pour elle, et elle
souffre d'un gros complexe d'incompréhension. Pourquoi avoir
créé ce type de personnage ?
D
- B : Je crois qu'au départ on ne voulait pas d'un super héros.
Elle est quand même le personnage principal de la série. Et
puis tout n'est pas négatif en elle. On l'a créée à une époque
où il y avait beaucoup d'anti-héros. Dans "Henriette",
ce qui nous intéressait, c'était d'avoir un personnage n'ayant
rien pour lui et de le rendre attachant. Je ne sais pas Si on
a réussi. Dans le troisième, le personnage ne se laisse plus
faire. On ouvre ainsi des perspectives intéressantes à la série.
Au début, elle est ballottée par les événements, à la fin on
sent qu'elle peut prendre les choses en main. Si notre personnage
avait été joli, on aurait rapidement épuisé le sujet. En fait,
"Mr Jean" et "Henriette" se ressemblent
beaucoup. Ils sont comme tout le monde. Pour "Henriette",
il y a aussi son journal et ses rêves. Et puis les choses, les
détails se sont mis en place au fur et à mesure. On n 'a pas
tout décidé d'un seul coup. Mais je vois mal, par exemple, "Henriette
au Tibet".
Vous
dites qu'avec le tome 3, elle prend les choses en main. Est-ce
pour cela que vous avez transposé son physique sur la concierge
de "Mr Jean" ?
D
- B : En fait, c'est une erreur. Au départ, la concierge de
"Mr Jean" n'était pas prévue sur plus de 2 pages.
Il se trouve d'ailleurs que l'on s'est inspiré de concierges
qui existent. La ressemblance avec Henriette est gênante, car
pour nous Henriette ne serait pas du tout comme ça si elle devait
devenir concierge. Elle n'aurait d'ailleurs pas le même état
d'esprit.
On
retrouve dans ces 2 bandes les mêmes thèmes : celui de l'écrivain.
Henriette débute alors que Mr Jean a réussi.
D
- B : On raconte toujours un peu sa vie. Avec des histoires
de dessinateur de BD on aurait rapidement tourné en rond. Le
mieux est alors de se transposer dans un autre univers. On prend
ainsi du recul par rapport à ce qui nous arrive. C'est pour
cela que la vie de Mr Jean est très proche de la nôtre.
C'est
un double littéraire ?
D
- B : Exactement
On
en revient toujours à l'inspiration autobiographique !
D
- B : On parle de ce que l'on connaît, de ce que l'on voit,
de ce que l'on vit. Dans un des éditoriaux de "Métal Hurlant",
J.P. DIONNET disait que ce que Jack London ou Joseph Conrad
raconte, ils l'ont vécu. Ils trouvaient ainsi dans leurs vies
matière à romans. Nous avons essayé de faire une histoire d'aventures,
mais nous l'avions vécue par procuration, à travers nos lectures.
Cela a donné un album bancal.
"Klondike"
?...
Ph
D. : Oui ! Alors nous avons décidé de nous en tenir à ce que
nous vivons, à ce qui nous ressemble le plus en essayant d'éviter
de tomber dans le nombrilisme tendance "prise de tête",
ce qui serait tout aussi ennuyeux qu'un livre d'aventures creux
comme il en existe tant sur les rayons des librairies.
Pour
en revenir à Mr Jean, des projets pour ce personnage ?
D
- B : Le prochain album qui doit paraître à la rentrée aura
comme thème principal "les nuits blanches de Monsieur Jean".
A quoi occupe-t-il ses nuits ? Celui d'après, le troisième,
tournera autour du thème du bébé. Enfin, on n'en est pas sûr,
on verra au fur et à mesure.
Et
pourquoi ce changement d'éditeur ?
D - B : On ne reproche rien à Fluide.
Au contraire. Ils ont une production remarquable. Et puis ils
ont l'esprit BD. Ils publient ce qu'ils aiment. Le problème
qui s'est posé pour nous c'est que l'on voulait faire de l'illustration.
Il se trouve que paraître dans Fluide demande beaucoup de travail,
surtout d'animation du journal pour laquelle il faut une présence
quasi-régulière.
Cela nous posait des problèmes. On voulait aussi aborder la
couleur, ce qui ,à notre avis, apporte beaucoup à notre graphisme.
Et puis, nous ne pensons pas que "Monsieur Jean" soit
un personnage pour Fluide, déjà qu"Henriette"
s'y trouvait en décalage.... Mais si un jour on a une idée qui
convienne à Fluide, on y retournera.
Cette
envie de faire de la couleur, est-ce venu avec la parution de
"Klondike" et de ce que vous avez ressenti en le voyant
? C'était votre premier album en couleur.
Ch
B. : C'est une question de dessin. On faisait de l'illustration
qui nous amenait à évoluer vers la mise en couleur.
Ph D : Il faut savoir qu'il y a des dessins où la couleur n'apporte
rien. EDIKA ou BLUTCH n'ont pas besoin de couleur. Elle n'est
pas indispensable pour ceux qui travaillent à Fluide en général.
C'est vrai malgré tout que BINET en couleur ça donne aussi.
Comme nous soignons beaucoup notre mise en scène, nos ambiances
et nos décors, on ressent la couleur comme un besoin. "Mr
Jean" perd beaucoup quand il n'est réalisé qu'en noir et
blanc. Et puis c'est très difficile de travailler seulement
avec du noir et du blanc. Je crois que l'on manque de maturité
et de talent pour que nos bandes tiennent sans couleur. Le contre
exemple type, c'est TARDI. La couleur est très présente et très
forte dans ses premières uvres. Il est arrivé par la suite
à un graphisme Si précis, qu'en noir et blanc son dessin a une
présence incroyable. Même Si, dans "Nestor Burma"
notamment, il se sert encore du gris, avec trois coups de crayon
il arrive à donner une impression de pénombre. Un jour on arrivera
peut-être à réaliser cela, mais ce sera différent. Chez les
Humanos on a la possibilité d'avoir la couleur. Quand les deux
premiers tomes d'"Henriette" seront réédités, on va
juste mettre en couleur les planches, on ne touchera rien.
Ph D. : Je crois que si on modifiait des détails, avec notre
style actuel, le résultat serait décalé par rapport au reste.
On aurait alors tendance à tout refaire, même le scénario car
on ne raconterait plus les choses de la même façon. Pour nous
aujourd'hui, il est plus intéressant de travailler sur de nouveaux
projets.
Ch B. : Si tu compares les dessins parus dans les albums
d'"Henriette" , tu taperçois qu'il y a beaucoup
d'évolution. On a perdu énormément de choses en route. On est
passé à autre chose, et c'est bien. Au début, on donnait beaucoup
plus d'importance au dessin qu'à l'histoire. On avait peu de
choses à raconter. Pour "Mr Jean", les histoires sont
très importantes et le graphisme s'en inspire directement. On
utilise aussi certains cadrages pour suivre l'histoire. Elle
passe en premier.
Ph D. : Il ne faut absolument pas regretter le côté brouillon
du début. La phase "Henriette" est beaucoup trop sage,
et le dessin commençait à devenir fade. Avec "Mr Jean"
le dessin prend une tournure différente, plus vivante. Peut-être
qu'à Fluide on faisait trop de BD et que cela nous vidait de
notre inspiration. Je suis persuadé que la BD, au bout d'un
moment, épuise l'imagination de l'auteur. On finit par enfiler
des cases comme on enfile des perles. On perd le plaisir de
dessiner.
Ch B. : Le rythme de Fluide nous imposait de respecter des contraintes
de dates. Il ne fallait pas prendre de retard sur le journal.
On finissait par ne plus s'amuser. Avec "Mr Jean",
on fait une page quand on a envie de la faire, sans personne
derrière nous.
L'album
"Klondike" a été une erreur à votre avis ?
Ph D. : Une erreur qui nous a permis de savoir
ce que nous voulions vraiment raconter comme style d'histoires.
L'aventure, c'est pas notre truc.
Ch B. : Il y a d'autres gens qui font ça beaucoup mieux que
nous. On leur laisse notre place. Il y a STANISLAS par exemple,
et il le fait mieux que pas mal de gens.
Ph D. :Voilà, comme ça c'est dit
Vous
avez travaillé pour beaucoup d'éditeurs depuis vos débuts chez
Magie Strip.
Ph D. : On a travaillé essentiellement
pour les Humanos et Fluide. Pour Magie Strip on a fait un bouquin,
comme on a fait "le chat bleu" chez Comixland. On
a travaillé chez Magie Strip parce que notre récit correspondait
dans sa forme au format de la collection "Atomium".
En même temps on travaillait pour Fluide. Ce fut d'ailleurs
la plus grande partie de notre travail jusqu'à maintenant. Et
puis on est passé aux Humanos pour les raisons que l'on évoquait
tout à l'heure.
Ch B. : Les choix d'éditeurs ont aussi été des choix affectifs.
Pour Milan, c'est Jean-Louis TRIPP qui nous y a amené. Les Humanos,
ça vient du fait que l'on connaissait José-Louis BOCQUET. Et
"l'Association", c'est par J.C. MENU.
Finalement,
travailler aux Humanos, c'était un peu un but !
Ph
D. : Oui. On a été lecteurs de Métal Hur1ant . Mais on
a aussi apprécié GOTLIB. Alors travailler avec lui... La plupart
des dessinateurs de Fluide on les apprécie. Mais Métal était
beaucoup plus proche de nous. Il nous intéressait davantage.
Il y avait JANO, CHALAND et Serge CLERC. Des chroniques et des
critiques sur le rock, les concerts qu'ils allaient voir. IL
y avait une vie dans cette revue qui se rapprochait beaucoup
de la nôtre. Plus que Fluide.
Dans
"le Petit Peintre" il y a une ambiance année 50,
à la CLERC ou à la CHALAND.
Ch B. : Oui et non ! Je me sens beaucoup
plus proche des années 20 que des années 50. Là où CHALAND m'a
influencé, c'est dans le graphisme, le minimalisme. Je l'ai
retrouvé chez PETITROULET. C'est d'ailleurs lui qui a écrit
la post-face de notre premier album. Chez lui, le minimalisme
intervient dans la mise en page, la mise en scène et il a une
poésie à lui.
Ph D. : Moi, je ne suis pas du tout un fétichiste des années
50. Mr Jean a effectivement des sièges des années 50, mais chez
moi il y a toutes les époques, tous les styles. Il y a du bon
et du moins bon. L'univers de Mr Jean, c'est ça il y a de tout.
Avec
"le Petit Peintre", votre premier album, vous avez
ététrès bien accueillis par la critique. Comment avez-vous ressenti
cela ?
Ph D. : On a beaucoup déçu depuis (rire).
C'est vrai que les critiques ont été bonnes et que cela fait
plaisir. Je crois que le problème n'est pas là. On a toujours
envie que l'album que l'on fait soit bon. C'est surtout ce qui
compte. Mais il ne faut pas que cela bloque le processus de
création.
Ch B. : Et puis il faut relativiser l'importance de la
critique. Chez certains, les superlatifs noient la critique.
Quand ce sont des amis qui te félicitent, il faut faire attention.
Beaucoup
de vos histoires jouent sur l'ambiance et l'émotion.
Ch
B. : On écrit et on dessine les histoires comme on les ressent.
Cela vient tout seul, il n'y a pas de calcul. C'est comme dans
"les Vacances de Monsieur Hulot", il y a souvent un
mélange de mélancolie et d'humour. En fait, c'est beaucoup plus
de la mélancolie que du sentiment.
Justement,
à propos de Monsieur Hulot, vous venez de le dessiner sur l'une
des sérigraphies que vous avez réalisées récemment. Pourquoi
ce personnage ?
Ch
B. : Il y a dans l'humour de Tati tout ce que j'aime. C'est
une influence majeure et j'avais envie de lui rendre hommage.
"Les Vacances de Monsieur Hulot" étant mon film préféré,
c'est ce décor que j'ai choisi pour la sérigraphie.
On
remarque aussi autour de nous de nombreux livres. La littérature
a-t-elle beaucoup d'importance dans vos créations ?
Ch
B. : Il y a dans le prochain album de Monsieur Jean une
histoire de 15 pages qui se passe à Lisbonne. Je l'aurais sans
doute écrite autrement Si je n'avais, pendant son élaboration,
découvert l'uvre de Fernando Pessoa.
Si
on vous proposait un jour de reprendre et d'animer un personnage
de BD ou de la littérature, quel serait votre réaction ?
Ph
D. : Reprendre un personnage de BD ? Jamais.
Ch B. : Quant à la littérature, c'est assez délicat. Quand
une uvre est parfaite dans sa forme d'origine, on ne peut
que la réduire en lui donnant une autre forme. Il faudrait reprendre
des uvres bancales ou réexploiter de bonnes idées avortées.
Malheureusement, dès qu'un livre ne me plaît pas, il me tombe
des mains au bout de quelques pages. Impossible d'envisager
une adaptation dans ces conditions.
Pour
terminer cet entretien, des choses à ajouter ?
Ch
B. : Oui ! Durant cette interview qui se déroulait chez
moi, j'ai oublié des biberons sur le feu, tout à brûlé, ça puait
le caoutchouc et ma fille de 2 mois hurlait de faim entre les
questions et les réponses. Ce qui explique nos propos quelque
peu confus, et je le suis tout autant.
Ph D. J'aimerais toutefois ajouter qu'oublier des biberons sur
le feu alors qu'il y a tant de gosses qui meurent de faim, c'est
inhumain !
Interview réalisée
à Paris, le 21/11/1991
|