INVENTAIRE AVANT TRAVAUX

(Monsieur Jean, tome 6)

1èr éd. : sept 2003, éditions DUPUIS.
48 pl. coul.
Collection Expresso

De retour de New York, Jean laisse son ancien appartement parisien à Félix et emménage dans un autre, avec Cathy et leur fille Julie. Au milieu de ses cartons, il trouve une caisse, contenant quelques objets sans valeur, abandonnée par l'ancien locataire, décédé depuis. Malgré l'avis de ses proches, Jean n'arrive pas à se débarrasser de cette caisse.

 


cottmjt4.jpg (22079 octets)Tirage de tête
Nov 2003, éditions CANAL BD.

444 exemplaires numérotés  et signés + 30 hc. Couverture originale sérigraphiée 3 couleurs, cahier spécial de 12 pages d'esquisses, 2 images hors-texte et 3 vignettes sérigraphiées.
Conception Pascal Le Borgne, Dupuy et Berberian


Extraits :


Esquisse :

Couverture

 


Document :

Couverture du Dossier de Presse Dupuis (2003)


Tirage limité

Album spécial librairie Brüsel avec une jaquette sérigraphiée 2 couleurs sur Kraft et un cachet 500 exemplaires numérotés et signés. Réalisé à l'occasion de l'exposition Dupuy-Berberian à la librairie Brüsel du 9 au 29 septembre 2003.


Entretien :

Entretien publié sur BRUSSELSBDTOUR (2003)

BrusselsBdTour : Si vous deviez introduire ce nouvel album à quelqu'un qui ne connaît pas la série, que lui diriez-vous ?

Charles Berberian : Bienvenue au club !

Philippe Dupuy : C'est le sixième tome de ce qui devient la longue histoire de "Monsieur Jean", écrivain de presque 40 ans maintenant, qui vit à notre époque, entouré de nombreux amis plus ou moins sympathiques. C'est quelqu'un que l'on a commencé à suivre lorsqu'il avait la trentaine et qu'il avait des difficultés à s'engager. Maintenant, il s'installe avec sa copine Cathy, avec qui il a eu une fille : Julie. Dans ce nouvel album, il déménage et c'est la grande aventure !


BrusselsBdTour : Comment naît un nouvel album chez Dupuy-Berberian ? Y-a-t-il écriture complète d'un scénario avant passage au dessin ou préférez-vous vous lancer et avancer un peu à l'aveuglette ?


Philippe Dupuy : Il y a d'abord une phase d 'écriture pour ne pas se lancer dans un album qui fait 54 pages sans trop savoir où l'on va. Donc, ça commence par une discussion entre Charles et moi pour voir un peu quelles sont les idées et on pioche dans cet ensemble d'idées pour faire émerger une histoire ou apporter des concordances entre les différents thèmes, pour trouver des anecdotes qui pourraient bien s'enchaîner. Une fois que l'on voit ce que l'on voudrait mettre dans l'album, on essaie de structurer une histoire pour qu'elle corresponde au format imposé par l'éditeur et par ce que doit être un album de bande dessinée. Tout est donc écrit avant de commencer le moindre dessin.


BrusselsBdTour : Comment expliquez-vous le succès de Jean et d'Henriette ? Croyez-vous que le fait que les problèmes rencontrés par les protagonistes soient de même nature que ceux rencontrés par le lectorat y est pour quelque chose? Que le public peut s'identifier et qu'il est donc plus touché que par les histoires des héros sans peur et sans reproche qui inondent la BD traditionnelle ?

Charles Berberian : Je ne crois pas que dans le cas d'Henriette, on puisse parler de succès. Nous avons connu avec elle un succès d'estime, mais nous en sommes déjà au troisième éditeur puisqu'il y a eu Fluide Glacial, les Humanoïdes Associés et Je Bouquine chez Bayard, maintenant, elle passe dans Spirou. C'est un personnage vraiment très attachant (en tout cas, nous, nous y sommes très attachés) c'est un personnage qui est peut-être différent de l'idée que l'on se fait d'une héroïne. Quand on choisit une jeune fille un peu boulotte pour en faire un personnage principal, on sait bien que l'on ne se lance pas sur le thème des super-héros (quoi qu'il y ait un super héros dans Henriette qui s'appelle Fatman). Lorsque nous avions lu des bandes dessinées comme Calvin et Hobbes ou lorsque l'on a vu les dessins animés des Simpsons, on se sentait proche de cet univers.


BrusselsBdTour : Avec ce héros issu de la vie de tous les jours, n'y a-t-il pas forcément une part d'auto-bi-biographie ?

Philippe Dupuy : Il y en a forcément, mais ce n'est pas de l'autobiographie au sens où on l'entend. Ce n'est pas nous, mais ce sont des choses que l'on connaît plutôt bien soit pour les avoir plus ou moins vécues ou pour les avoir côtoyées de près. Les personnages secondaires aussi peuvent s'inspirer de gens que l'on connaît ou que l'on a vus. Il y a aussi un tas d'anecdotes que l'on a observées dans la rue comme par exemple dans le dernier album, il y a deux clodos que l'on retrouve à plusieurs reprises et ce qui leur arrive, ce sont des choses que l'on a pu observer auprès des clodos dans notre quartier. Comme il y en a de plus en plus à Paris, on y est souvent confronté.

Charles Berberian : Des clodos, vous n'en avez pas à Bruxelles! C'est la première chose que je cherche dans une ville, car je trouve que c'est très représentatif. A Tokyo par exemple, j'en ai vu un seul en une semaine. Ou alors, ils sont plus planqués qu'a Paris.

Philippe Dupuy : Il y a sans doute aussi des villes qui ont une volonté de les cacher de manière à donner une image parfaite. C'est un peu comme les Chinois à Pékin qui vont peindre les pelouses en vert pour qu'elles soient plus belles pour les jeux olympiques.

Charles Berberian : En fait, c'est ce que nous faisons dans nos bandes dessinées : on prend la réalité et ... et ...

Philippe Dupuy : et on la peint en vert ! (Rires...)

Charles Berberian : On essaye de faire les choses mieux, plus drôles qu'elles ne le sont dans la réalité. Comme disait Truffaut : " On corrige la réalité " par exemple, lorsque dans la vraie vie, on n'a pas eu la bonne réplique, dans l'histoire que l'on va raconter en bande dessinée, la bonne réplique, celle que l'on aurait voulu avoir, elle fuse avec un naturel et un à propos déconcertant. L'avantage de l'écriture, c'est que si on n'a pas la bonne réplique sur le moment, on peut toujours y réfléchir après. Si vous saviez ce que l'on peut ramer avant d'avoir l'air intelligent! (rires...).
Dans nos albums, un personnage énervant, qui aurait vexé Monsieur Jean, il glisse et se casse la figure. C'est un exutoire aussi. C'est de l'autobiographie mais en mieux.


BrusselsBdTour : Ce qui fait aussi un peu penser à de l'autobiographie, c'est ce métier d'écrivain ?

Charles Berberian : C'est de la transposition. On ne connaît pas vraiment ce que doit être le métier d'un boulanger ou d'un chauffeur de taxi.

Philippe Dupuy : T'aurais pu faire une formation en boulangerie et moi j'aurais joué au chauffeur de taxi pendant un an. Il y a des écrivains qui font cela. En ce qui nous concerne, nous préférons raconter des choses que nous connaissons. Il y a des auteurs qui ont la capacité de se plonger dans des époques antérieures et de les ressentir. Moi, j'ai des difficultés à le faire. Même après avoir lu des " Blueberry " je me sens incapable de faire du western.


BrusselsBdTour : Jean apparaît souvent fort raisonnable. Félix, lui est plus excessif. Pourquoi avoir choisi des personnages si différents et en avoir accablé un de tant de défauts ?

Charles Berberian : Pour le contraste ! Félix, au départ, c'était un personnage un peu parasite et énervant mais à partir de " La théorie des gens seuls ", nous avons commencé à éprouver beaucoup de sympathie pour lui, même s'il est parfois un peu brouillon, inconséquent et irresponsable, en tout cas en ce qui me concerne, il représente peut-être un peu mes tendances inavouées. Parfois, on fait des efforts pour essayer de ne pas aller dans ce sens là parce que l'on essaye de se responsabiliser, mais ça fait un bien fou de se lâcher de temps à autres, de laisser aller ce personnage à nos tendances les plus misanthropes, les plus débiles aussi puisqu'il a toujours des théories absolument abracadabrantes, mais qui nous font rire. Parfois l'un d'entre nous trouve une théorie de ce genre et la raconte à l'autre et c'est le délire.

Philippe Dupuy : Nous aussi, nous essayons de développer des théories qui prennent l'aspect de choses bien construites mais qui en fait sont n'importe quoi, et le pire c'est que l'on finit par y croire (rires). De toute façon, quand on se lance dans un récit, il faut typer les personnages. Si on a deux personnages identiques, ça fait doublons. Deux personnages tranchés, cela permet de montrer plusieurs regards sur ce qui se passe. Plus Félix est farfelu et plus Jean peut paraître posé et calme et plus réfléchi. Après par exemple, il y a Eugène, qui est un enfant et qui nous permet de décoder le monde des adultes au travers de son regard.

Charles Berberian : Ceci dit, ça nous embête un peu que Jean devienne le personnage trop raisonnable. C'est pour cela que dans " La théorie des gens seuls ", Jean écrase un chien " car on a bien senti que plus Félix devenait déraisonnable, plus Jean prenait un côté rigide qui nous déplaisait. Donc on va lui faire faire des trucs un peu fous maintenant à Jean.

Philippe Dupuy : C'est drôle car en parallèle, Félix s'est installé avec Liette qui a plutôt tendance à le calmer et à le canaliser. En fait, tout cela s'équilibre mais ça prend du temps.


BrusselsBdTour : La série change d'éditeur, est-ce là le seul changement majeur ?

Charles Berberian : En fait, vu de l'extérieur, cela peut paraître un changement majeur puisqu'il n'est pas possible de comparer une maison d'édition telle que Dupuis avec Les Humanoïdes Associés, mais de notre point de vue, il n'y a pas de changement puisque nous continuons à travailler avec l'éditeur avec qui nous travaillions aux Humanos, à savoir Sébastien Gnaedig. Nous travaillons même avec le graphiste qui était responsable des couvertures de Monsieur Jean. Autour, il y a évidemment des personnes qui ont changé, les attachés de presse par exemple, mais le noyau central reste le même.

Philippe Dupuy : Et notre manière de faire le livre reste la même, la façon de penser les choses, de partager et d'échanger les idées avec l'éditeur. Même la forme du livre reste avant tout la nôtre. Mais tout ça reste du Monsieur Jean même si ça évolue depuis le début et c'est cela qui nous intéresse : ne surtout pas fixer les choses de façon définitive. Tout est possible chez nous, un personnage même clé peut disparaître et un autre apparaître. Rien n'est fixé.


BrusselsBdTour : Il y a assez peu de duos comme le vôtre dans la BD (on peut citer Warnauts/Raives et Stan/Vince). Comment a débuté cette collaboration et comment s'est mise en place une telle complicité dans le travail ?

Philippe Dupuy : Sans le savoir (rires...).

Charles Berberian : Au jour le jour et naturellement, sinon ça ne se serait pas fait. Il n'y a pas eu de décision qui s'est prise. Cela s'est fait sans que l'on ne s'en rende compte. C'est une succession de faits; le fait que l'on place une BD à Fluide, qui nous en demande d'autres qui fait que l'on travaille régulièrement à deux a certainement forgé le duo. Le fait d'avoir fait un livre en même temps chez Magic Strip dans un style différent nous a montré que nous pouvions avoir une latitude commune, que nous n'étions pas enfermés dans un style commun, que nous pouvions évoluer à deux. En 87, nous avons décidé de façon quasi simultanée de nous lancer dans l'illustration de façon plus effective : on a démarché des revues, on a pris un agent en publicité. En fait chaque tournant important, on l'a pris ensemble. Il y avait une sorte d'adéquation dans les perspectives que l'on s'était fixées.


BrusselsBdTour : Quels sont les points forts d'une collaboration telle que la vôtre ?

Philippe Dupuy : De ne pas être tout seul! (rires) C'est un boulot solitaire. Même quand les gens travaillent à deux (scénarise et dessinateur) le dessinateur est seul face à ses planches et le scénariste face à son ordinateur. Là, c'est bien parce qu'il y a un échange, lorsque l'on a un doute, on peut en parler. On sait qu'il va toujours y avoir un autre regard sur ce que l'on est en train de réaliser. Ça évite les blocages car on peut transmettre les choses. Même en terme de motivation, lorsqu'il y en a un qui fatigue le deuxième est là pour tirer l'autre. Il est rare que les deux fléchissent au même moment. On a les avantages du travail en équipe sans en avoir les inconvénients comme le fait de gérer toute une communauté de personnes. Je crois sincèrement que si j'avais dû bosser 20 ans dans mon coin comme le font certains amis, je ne ferais plus ce boulot.


BrusselsBdTour : Vous ne nourrissez pas l'envie de réaliser un album solo ?

Philippe Dupuy : Je ne sais pas, il n'y a rien d'exclu. Dans notre collaboration, il n'y a rien de fixé. Si à un moment il y en a un qui ressent l'envie de réaliser quelque chose en solo, l'autre ne va pas le lui interdire. Nous sommes une entité ouverte. Il n'y a pas de contrat. Cela dit, jusqu'à présent, à chaque fois que l'un s'est engagé sur une voie (en général au niveau de la recherche) l'autre a réagit. Pas pour paraphraser, mais plus pour pousser les choses un peu plus loin. L'exception, c'est " Le journal d'un album ", où nous avons fait chacun nos planches.


BrusselsBdTour : Charles Berberian, vous avez scénarisé l'excellent "Cycloman". Alors que d'habitude, vous racontez l'histoire d'hommes communs, pourquoi avoir ici raconté celle d'un super héros (même s'il l'est malgré lui ?) ?

Charles Berberian : Les premières BD que j'ai lues étaient des comics américains et comme on a toujours tendance à reproduire ce que l'on a aimé, il fallait bien qu'un jour je fasse un scénario avec un super héros. Philippe n'a pas cette culture (rires) parfois même, il se moque de moi parce que je continue à lire des Batman et des choses du genre. J'en avais donc très envie, mais je suis incapable de dessiner cela. Philippe ne s'en sentait ni l'envie, ni les capacités. En plus, ça m'intéressait de travailler avec un dessinateur sans intervenir au niveau du dessin pour être réellement spectateur et voir ce que c'est de n'être que scénariste sur un projet aussi long. Ça m'a beaucoup plu. D'abord parce que Grégory Mardon est un très bon metteur en scène, il a un sens très élaboré du découpage sans doute car il vient de l'animation.

Philippe Dupuy : Jean, c'est notre costume de super héros ! (rires...).

Charles Berberian : oui, c'est ça, on le met pour avancer la nuit, pour affronter les angoisses et les contrariétés de la vie.


BrusselsBdTour : Vous faites partie des pionniers de ce que l'on appelle la nouvelle BD. Comment la définissez-vous et en son sein, comment caractériseriez-vous le travail, voire le style Dupuy-Berberian ?

Charles Berberian : D'abord, une précision : la nouvelle BD ne s'arrête pas à la liste des auteurs cités par d'Hugues Dayez dans son livre.

Philippe Dupuy : Elle ne commence pas là non plus ! (rires...).

Charles Berberian : C'est un terme qui n'est pas fondamentalement faux dans la mesure où quand la majeure partie des journaux de BD ont disparu, beaucoup d'auteurs ont migré ailleurs et abandonné la BD parce que ce n'était plus sous les projecteurs et que c'était difficile d'en vivre. Il y a donc à cette époque toute une génération d'auteurs -dont nous faisons partie- qui ont continué la BD parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Il y avait une sorte de force, d'envie qui nous poussait à faire des livres. Toute une nouvelle génération d'auteurs est arrivée tels que Joann Sfar ou Lewis Trondheim -qui sont des mutants- qui n'ayant plus de journaux ont été obligés de produire énormément pour pouvoir en vivre.

Philippe Dupuy : Ils n'ont pas connu les journaux du tout, alors que nous en avons encore bénéficié à leur fin.

Charles Berberian : Ils ont développé cette force de travail, cette rapidité et cette efficacité qui en fait des mutants.

Philippe Dupuy : Ce sont des X-men (rires...).

Charles Berberian : Ils ont une mutation commune à tous, qui est le fait de ne plus être des collaborateurs de journaux mais des auteurs de livres. On ne travaille plus à une collection de pages, on travaille à un ouvrage. Des gens comme David B., nous même lorsque nous nous sommes lancés dans "Le journal d'un album", Marjane Satrapi ou Guy Delisle avec "Pyongyang", on travaille véritablement un contenu et le lecteur mute par après vu qu'il n'achète plus un livre pour le ranger sur une étagère dans le bon ordre des numéros.

Philippe Dupuy : Avant, les gens découpaient les albums dans les journaux ou ils les achetaient après leur parution parce qu'ils avaient aimé, maintenant, ce n'est plus le cas. Les gens achètent le livre pour découvrir ce qui est à l'intérieur.

Charles Berberian : C'est cette mutation que l'on appelle "nouvelle bande dessinée", mais elle prend déjà ses racines dans la collection "(à suivre)". D'ailleurs, ce sont des auteurs qui sont cités par Dayez (Rabaté, De Crécy, Tardi, Pratt, Denis...). Monsieur jean vient un peu de là.

Philippe Dupuy : En fait, la BD ne s'arrête pas à ce dans quoi on l'a cloisonnée jusqu'à présent. Ce sont des livres dans lesquels on peut raconter plein de choses différentes et cela, de différentes manières. Avant, on identifiait cela à une tranche d'âge et un type de lecture. Par comparaison, le cinéma ne s 'arrête pas à Walt Disney et aux westerns. Il y a dans la BD tout comme dans le cinéma énormément de choses pour les enfants que l'on était ou pour ceux que l'on a mais aussi pour les adultes que l'on est devenu et cela, pas seulement avec le souvenir de ce que l'on aimait lire lorsque l'on était petit. La nouvelle BD n'est pas un phénomène totalement nouveau. Il y avait déjà eu des signaux d'alerte à l'époque de Pilote ou de Métal Hurlant. Crumb n'est pas né d'aujourd'hui, mais il présente énormément de choses différentes. On peut citer aussi Gotlib et bien sûr Giraud. Pilote et Métal ont été créés par des auteurs. La nouvelle génération était devenue adulte et avait l'envie d'écrire des livres (mais il n'y avait plus personne pour les publier) il fallait créer une structure. C'était la même démarche que Gotlib, Brétécher, Druillet, Moebius, ... avec Métal. Mis à part que ce ne sont plus des journaux mais des maisons d'édition, telles que L'Association, Ego comme X, Cornélius, ...


BrusselsBdTour : On imagine que pour en arriver à ce que vous faites, il y a eu un long cheminement. Quelles ont été vos influences BD ?

Philippe Dupuy : En plus de ceux que l'on a cités, il y a aussi Avril et Petit-Roulet, Chaland, Blutch. Dans les plus anciens, Franquin et Druillet qui avait déjà fait dans les années 70 des choses incroyables.

Charles Berberian : On parle souvent de Giraud/Moebius comme d'un excellent dessinateur, mais j'aime aussi beaucoup ses scénarii. Je trouve qu'il a un grand sens du dialogue. Il parvient à donner de la chair à ses personnages. Comme son trait est très fin lorsqu'il fait du Moebius, son dialogue est fait de la même manière il y a beaucoup de finesse et de simplicité dans sa façon de poser ses personnages et ses situations. Dans le cycle d'Aedena par exemple, je trouve les deux personnages très humains et très charnels. Je pense qu'il n'est pas pour rien dans la densité que prend Blueberry à partir du "Spectre aux balles d'or".


BrusselsBdTour : Pensez-vous que Bd et internet puissent faire bon ménage ?

Philippe Dupuy : Cela dépend de comment on envisage le mariage.

Charles Berberian : Si c'est dire que le papier n'est plus utile parce qu'il y a internet et que l'on peut lire sur l'écran, je ne suis pas pour. Je ne peux pas feuilleter sur un écran. On ne peut pas le prendre comme un livre et ... peut-être qu'un jour il y aura des écrans comme des feuilles (rires...).

Philippe Dupuy : Peut-être mais en attendant, le bon ménage que je vois, il est dans le domaine d'échange d'idées, les liens qui peuvent se créer.

Charles Berberian : Il y a quelque chose de formidable avec internet, c'est que je n'ai plus aucun problème de documentation. Je peux trouver tout en photo. Ça peut aller du casque de pompier à quelque chose de très pointu comme un monument dans une ville particulière. A ce point de vue, internet est un outil extraordinaire. Pour ce qui est des échanges, lorsque l'on travaille avec un éditeur canadien, hollandais ou encore allemand, on a des contacts directs extrêmement rapides. S'ils ont besoin d'une précision pour une traduction, la réponse est très rapide.

Philippe Dupuy : Un autre aspect de la relation internet et BD c'est les sites. Un bon site peut fonctionner aussi bien qu'un bon magazine au point de vue de l'information avec en plus une facilité de communication entre les gens plus simple que le courrier des lecteurs. Internet aura aussi l'avantage par rapport au magazine de pouvoir inclure des séquences vidéos. Cela peut être un plus. Lorsque nous avons réalisé le tome 5, il y avait un Cd-rom avec l'album avec une interface qui montrait tout le travail préparatoire comme des crayonnés mais il y avait aussi un film, un reportage audio… pour montrer qu'il existait des passerelles entre le monde de Monsieur Jean et les personnages de la vraie vie.


BrusselsBdTour : Comment voyez-vous la BD dans 20 ans ?

Charles Berberian : Il y a un problème économique qui va finir par se poser, à savoir que la BD coûte cher, et de plus en plus cher. On peut comparer avec l'industrie du disque et on voit où elle en est maintenant. La BD doit rester quelque chose de populaire, de démocratique même si on peut envisager des tirages spéciaux qui coûtent un peu plus cher. Par exemple, je suis lecteur de manga alors quand on voit des séries à 18 ou 20 volumes qui coûtent 8 ou 10 euros pièce, ça commence à chiffrer. Et pourtant c'est bien moins cher qu'un album de BD courant qui coûte au moins aussi cher et qui fait 54 ou 75 pages alors qu'un manga en fait 200 à 300. Il faut trouver une solution à cela. Pour en revenir à internet, si internet pouvait par exemple trouver un système de prépublication démocratique où il serait possible de télécharger des pages, cela pourrait amener les gens à lire des choses qu'ils n'auraient pas essayées. Il y a une surproduction pour le moment en BD et on ne peut pas tout acheter. Si on a la chance d'habiter près de chez un bon libraire, on sera bien conseillé, mais ce n'est pas toujours le cas en province. Il y a même des choses qui n'y sont pas disponibles alors pourquoi ne pas combler ce vide via internet. Si c'est cela la vocation d'internet, alors ce sera bénéfique pour tout le monde et là, il y a une place à prendre.

Propos recueillis par Jean-Marc B.


Traductions :  
"Meneer Johan, Een doos te veel"
éditions Dupuis, septembre 2003
ISBN 90-314-2531-1
48 pl. coul.
Collection Expresso
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